En août 2025, Victoire Ingabire Umuhoza, figure de l’opposition politique au Rwanda, est de nouveau confrontée à une procédure judiciaire dont le caractère politique ne fait guère de doute. Dans un pays où l’opposition est muselée depuis des décennies, son engagement pacifique, démocratique et résolument non violent en fait une cible régulière du pouvoir. C’est pourquoi j’ai décidé d’interpeller le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères : la France ne peut rester silencieuse face à ce qui s’apparente à une instrumentalisation de la justice pour faire taire une voix dissidente.
Victoire Ingabire préside le parti DALFA–Umurinzi (Development And Liberty For All), un mouvement non reconnu officiellement par le régime, mais qui incarne une opposition constructive et réformiste. Ce parti s’inscrit dans une orientation centre-gauche, avec des valeurs républicaines, égalitaires et décentralisatrices. Il plaide pour un État de droit, une répartition équitable des richesses, l’accès aux services publics pour tous et une réconciliation nationale véritable, indépendante des lignes ethniques ou politiques imposées depuis le sommet de l’État.
Le parcours de Victoire est marqué par une constance rare. Revenue d’exil en 2010 pour se présenter à l’élection présidentielle, elle a été arrêtée, puis condamnée à huit ans de prison. Elle sera libérée en 2018, sans que cesse pour autant la surveillance et les pressions. En juin 2025, alors qu’elle est auditionnée dans le cadre d’un procès visant plusieurs de ses sympathisants accusés d’avoir discuté de stratégies non violentes de mobilisation, le parquet ordonne une enquête à son encontre. Dans les jours qui suivent, ses communications sont coupées, son domicile perquisitionné. Human Rights Watch dénonce une procédure politique. Le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire estime que les militants visés dans la même affaire sont détenus en violation de leurs droits fondamentaux.
Mais Victoire Ingabire ne se contente pas de dénoncer l’autoritarisme intérieur. Elle propose également une vision régionale de la stabilité, en particulier dans les relations entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Elle affirme qu’un Rwanda démocratisé, où les citoyens peuvent s’exprimer librement et peser sur les décisions politiques, serait moins enclin à soutenir des groupes armés et plus en mesure de contribuer à une paix durable dans les Grands Lacs. Elle insiste sur l’importance de garantir une gestion équitable des ressources naturelles, dont l’exploitation – en particulier dans l’est de la RDC – ne doit pas profiter à des réseaux informels ou transfrontaliers, mais aux populations locales, à travers des mécanismes de redistribution et de développement partagés.
Face à cette situation, la France a une responsabilité. Elle entretient des relations diplomatiques, économiques et militaires avec le Rwanda. Elle affirme son attachement aux droits humains et à la démocratie. Elle ne peut donc ignorer le sort réservé à une responsable politique qui incarne une voie de sortie pacifique à un conflit politique interne, et peut contribuer à la stabilité régionale. Pour la France insoumise, Victoire Ingabire est aujourd’hui victime de lawfare – cette dérive consistant à utiliser les institutions judiciaires à des fins de répression politique, une pratique de plus en plus répandue dans le monde, y compris en France.
Soutenir Victoire Ingabire, ce n’est pas s’immiscer dans les affaires intérieures du Rwanda : c’est affirmer qu’aucune démocratie ne peut se construire dans l’isolement, sans justice, sans pluralisme, sans opposition. Ce soutien, aujourd’hui, est un devoir.