A l'approche des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris qui commenceront dans dix jours tout pile, de nombreux responsables politiques se gargarisent d'accueillir un tel évènement, oubliant volontairement d'évoquer les terribles conséquences sociales et environnementales qu'il comporte. Face aux tromperies, il faut rétablir un discours de vérité.

Tous à l’unisson, des socialistes de la capitale à la droite francilienne en passant par le chef de l’État, ils ne tarissent pas d’éloge sur cette 33ème édition des olympiades dans leur version moderne. Valérie Pécresse, Présidente de la région Ile-de-France, nous assurait en mars que « le bilan des jeux (serait) extrêmement positif. Pour la région et pour la pays ». Le Président Macron, qui n’en est pas à son premier déni de réalité, concluait sa conférence de presse à 100 jours des Jeux par cette phrase: « On va les faire ces jeux, on va les réussir et on va les faire très grands ». Toujours plus d’enthousiasme, comme pour cacher l’envers du décor. La maire de Paris Anne Hidalgo est allée en mai dernier jusqu’à exprimer son « ras-le-bol du bashing des Jeux », fustigeant les « peine-à-jouir » qui oseraient émettre la moindre critique sur l’évènement, résumant quelques semaines plus tôt leur argumentaire à « gnagnagna ». En ces termes, elle insulte au passage plus de la moitié des Française qui se déclarent peu ou pas confiants sur l’organisation des Jeux 1 , et au moins 42 % des franciliens qui se disent avant tout « inquiets », des chiffres en constante hausse depuis que Paris a été désignée ville hôte en 2017.

Nettoyage social cynique et méticuleux

A moins que les peine-à-jouir en question ne soient toutes les personnes précaires qui subissent de plein fouet les conséquences sociales des JOP ? Sur la période d’avril 2023 à mai 2024, les expulsions de sans-abri ont augmenté de 38,5 % par rapport à 2021-222 . Des évacuations de plus en plus violentes3 orchestrée par la préfecture aux abords des sites olympiques, parfois illégales et qui ne sont, pour plus d’un tiers d’entre elles, pas suivies de solutions d’hébergement de repli (ce qui est pourtant une obligation depuis 2018). Sont pourtant disponibles 4,5 millions de m2 de bureaux non utilisés en Ile-de-France (dont les bâtiments publics): il faut les réquisitionner. Les étudiants font aussi partie des indésirables de cet évènement antipopulaire, 2300 d’entre eux ayant été expulsés de leur logement CROUS. En Seine-Saint-Denis, la préfecture n’hésite pas à inciter les associations qui proposent des activités et séjours aux jeunes des quartiers populaires à le faire hors du département. Dans la ville de Saint-Denis en particulier, le maire socialiste Mathieu Hanotin profite de l’évènement pour réduire la proportion de logements sociaux, actuellement autour de 40%, vers le minimum légal de 25%.

Et comme si cela ne suffisait pas, au lieu d’instaurer temporairement la gratuité des transports comme le prévoyait le dossier de candidature, la droite régionale a décidé une augmentation de près de 100% ! Le ticket passera ainsi de 2,15€ à 4€ pour l’occasion, mettant à contribution de manière indifférenciée les touristes et les usagers franciliens, de quoi creuser encore les inégalités sociales, quand d’autres sources de financement étaient possibles (hausse du versement mobilité, taxes supplémentaires sur les séjours, spéculation immobilière, véhicules polluants, transports aériens, les locaux commerciaux…) Les Jeux Olympiques, c’est une affaire de riches.

Exploitation des travailleurs

Le désastre social et humain ne s’arrête évidemment pas là. Sous Macron, la France est devenue d’un des pays européens où le taux d’accidents du travail mortels est le plus élevé4. Les chantiers olympiques n’ont malheureusement pas dérogé à la règle avec 181 accidents recensés, dont 7 ont entrainé la mort. Comme toujours, ces drames humains sont invisibilisés par les médias et par les puissant qui les considèrent tout au plus comme des dommages collatéraux. Nous, les « peine-à-jouir », ne les oublions pas.

Quand ils ne perdent pas la vie, les travailleurs perdent à coup sûr leurs droits. Le décret gouvernemental du 23 novembre 2023 permet aux employeurs de déroger deux fois par mois à leur obligations sur le repos hebdomadaire de leur salariés5 durant la période des Jeux. Les primes versées sont dérisoires au regard du surplus de travail engendré et seule une infime partie des travailleurs en bénéficieront, comme c’est le cas à la RATP ou chez Aéroports de Paris, ces derniers étant menacés de privatisation par Bruno Le Maire il y a encore quelques années.

Outre le système francilien de transports collectifs qui risque de rompre sous une fréquentation en forte hausse, c’est tout le système de soins, et en particulier celui des urgences déjà exsangue, qui va se retrouver en première ligne pendant les Jeux Olympiques. Le Ministre de la Santé, qui a annoncé une hausse de l’activité hospitalière de 5% qui risque d’être en-deçà de la réalité, a décidé tout naturellement de la compenser par une augmentation de… 3% seulement des effectifs de médecins urgentistes, tous bénévoles. Vivement que le Nouveau Front Populaire arrive au gouvernement pour que les droits des travailleurs et les services soient enfin respectés dans ce pays.

Entre argent public gaspillé et indécence

Si le gouvernement compte ses sous pour les premiers de cordée, il n’hésite pas à le dilapider pour financer un évènement antipopulaire. En avril dernier, le Président Macron nous assurait pourtant que « les Jeux financent les Jeux », et sa ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra de surenchérir: « Je suis certaine qu’ils vont rapporter beaucoup plus à la Nation que ce qu’ils ne lui auront coûté ». De la part d’un gouvernement qui depuis 2017 a créé 1000 milliards de dette publique supplémentaire en multipliant notamment les cadeaux fiscaux aux plus riches, les incantations sous forme de certitudes font l’effet d’une mauvaise plaisanterie.

La réalité, c’est que le coût total de ces Jeux Olympiques, comme tous les autres, a été sous-évalué à dessein. Estimé initialement à 6,3 milliards d’euros, il est désormais chiffré à 8,8 milliards d’euros (dont 2,4 milliards d’euros d’argent public), et pourrait en fait atteindre 10 milliards d’euros (dont 5 milliards d’argent public) selon la Cour des comptes. Bercy anticipe 10 milliards d’euros de retombées économiques, sans que ce chiffre ne soit soutenu par aucune étude sérieuse. Des prévisions aussi risibles que les prévisions de croissance mensongères de Bruno Le Maire pour 2024, dénoncées dès la fin de l’année 2023 par toutes les forces de gauche, et corrigées au printemps par un gouvernement dos au mur. Ce qui est certain en revanche, c’est que ces retombées ne profiteront pas aux petites et moyennes entreprises, qui font le tissu économique du pays, mais bien aux géants du BTP, qui mènent une insoutenable concurrence par les prix. Ainsi, les TPE/PME des secteurs du bâtiment et de la construction n’ont obtenu que 14% des marchés publics de gros œuvre.

Et au-delà du budget global, il y a l’enrichissement personnel de certains dirigeants du Comité d’organisation des jeux olympiques et paralympiques (COJOP) qui a de quoi choquer, surtout au regard du sort réservé aux plus défavorisés dans cette affaire. La masse salariale du COJOP depuis 2017 s’élève à 584,8 millions d’euros (115 millions de plus que dans le dossier de candidature). Le parquet national financier a même ouvert une enquête sur la rémunération de son président, Tony Estanguet. Selon France Info, il aurait touché 300 000€ net par an pendant 7 ans.

Taxis volants et climat

Comble du séparatisme social, un arrêté du 9 juillet 2024 autorise l’installation d’un héliport sur la Seine pour accueillir… des taxis volants pour les ultra riches. Vous ne rêvez pas. D’une capacité d’un seul passager, ils consomment 30 fois plus d’énergie qu’un métro, 12 fois plus qu’un véhicule électrique, et 4 fois plus qu’une voiture thermique, symbole de l’aberration environnementale que constituent ces Jeux. On savait déjà que le tourisme de masse et le fort trafic aérien qu’impliquent de tels évènements sportifs sont désastreux. Mais dans un rapport publié en avril 2024,  l’ONG Carbon Market Watch jugeait la stratégie climat des Jeux de Paris “incomplète, et loin d’assurer une transparence suffisante”. En chiffres, cela se vérifie par des objectifs (une nouvelle fois) non atteints. Si le but annoncé était d’émettre deux fois moins de CO2 que Jeux de Londres 2012, on devra finalement se contenter d’une “contribution climat” de 1,473 millions de tonnes de CO2, via l’acquisition de 11,3 millions d’euros de crédits carbone. Une espèce de marchandisation des droits à polluer dont les bénéfices climatiques sont quasi inexistants, comme l’a encore démontré une nouvelle enquête6 de journalistes britanniques et allemands.

Libertés publiques ou olympisme, il faut choisir ?

Catastrophe sociale, gouffre financier, gabegie environnementale, n’en jetez plus ! Mais vous reprendrez bien un peu d’atteinte aux libertés individuelles ? 

Après la répression des gilets jaunes, la gestion autoritaire de la crise Covid, la loi sur la sécurité globale, la loi antiterroriste, la loi séparatisme, la loi sur l’espace numérique, voici le dispositif sécuritaire des JOP. Nous aurons d’abord droit au retour du QR code pour les utilisateurs de véhicules motorisés, le même outil qui était utilisé pendant les confinements, pour assurer le contrôle généralisé des individus dans l’espace public.. Qu’est-ce qui pourra interdire le gouvernement de recourir ensuite à ce dispositif pour des manifestations politiques ou culturelles en justifiant la préservation de l’ordre public ? Le droit à la mobilité sera très largement entravé avec des zones quadrillées de hautes grilles pour filtrer les déplacements des individus, dans lesquels les riverains et travailleurs ne pourront entrer qu’au moyen d’un “Pass jeux”, qui est le support des QR code. Il s’agit d’une grave atteinte à la liberté de circulation pour les personnes, alors même que ces jeux étaient annoncés festifs et populaires… 

La loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 de mai 2023 a également autorisé temporairement la vidéosurveillance algorithmique en temps réel (VSA). Il s’agit d’un logiciel construit pour détecter les signes de comportements « anormaux » ou « à risque ». Si ce dispositif hautement liberticide et dangereux, car il ne fait l’objet d’aucun contrôle démocratique ou citoyen, est censé s’arrêter à la fin des JOP, il a déjà été expérimenté au festival de Cannes, et il serait donc naïf de croire qu’il ne s’agit pas d’une simple étape vers sa pérennisation.

Le dispositif global, pourtant extrêmement liberticide, n’en sera pas moins bancal tant il repose sur un recours massif à la sécurité privée, à hauteur de plus de 17 000 agents par jour, essentiellement en Ile-de-France, qui ne seront pas tous formés de manière homogène ni gérés par la même entité, tantôt le Comité olympique, tantôt des opérateurs privés. Encore une fois du solutionnisme technique plutôt que de la prévention, de la formation et du recrutement.

Si les valeurs de l’olympisme et du sport sont celles du dépassement, du collectif et du partage, elles sont en l’occurrence gravement bafouées et ne peuvent en aucun cas servir de cache-misère pour une organisation des Jeux Olympiques défaillante qui piétine les droits humains et environnementaux. On peut aimer l’équipe de France, on peut aimer les sports olympiques mais on ne peut en aucun cas cautionner en silence. N’en déplaise aux béni-oui-oui et aux faux béats cyniques de la classe politique.

  1. Sondage IPSOS – Avril 2024 ↩︎
  2. Rapport Un an de nettoyage social avant les JOP: « Circulez, y’a rien à voir » du collectif « Le Revers de la médaille » composé de plus de 90 associations, dont Médecins du monde, ATD Quart Monde ou Emmaüs ↩︎
  3. Documentées par le CAD (Collectif Accès au Droit) ↩︎
  4. Accidents du travail en France: cinq chiffres à retenir – France Inter ↩︎
  5. Communiqué de la CGT du 31 mai 2024 ↩︎
  6. Article de Médiapart: 28 juin 2024 ↩︎

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