En commission des affaires étrangères, Sophia Chikirou alerte sur les conséquences catastrophiques du désengagement de la France et des États-Unis en matière d’aide publique au développement (APD).
Le contexte international de l’aide au développement est préoccupant. Cela a été dit, les États-Unis, premier contributeur mondial, ont engagé un démantèlement sans précédent. Dès le 26 février, 92 % des financements de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ont été supprimés, avant que celle-ci ne soit définitivement supprimée le 1 juillet dernier, frappant de plein fouet les domaines de la santé, de l’aide humanitaire ou de l’éducation dans près de 120 pays. M. Goldberg, vous annonciez dès le lendemain avec Solidarités international l’arrêt brutal de l’aide vitale dans 6 pays.
En juillet, une étude de la revue médicale “The Lancet” alertait : jusqu’à 14 millions de morts supplémentaires d’ici 2030 parmi les personnes les plus vulnérables dans le monde dues à ce retrait s’il se prolonge.
Mais une fois qu’on a dressé ce constat, que fait la France ? Elle ne fait pas mieux. Dans le budget 2025, l’aide publique au développement a même subi une chute historique : plus de 2,1 milliards d’euros de coupes, soit – 37 % par rapport à 2024, après avoir déjà procédé à d’autres annulations de crédits durant l’exercice 2024. L’APD a tout simplement été la mission budgétaire la plus durement touchée, en pleine montée des besoins. A l’échelle humaine, 2 milliards d’euros c’est l’équivalent d’une vaccination de base pour 71 millions d’enfants ou d’une année de scolarisation pour 17 millions d’élèves qui sont partis en fumée.
Voilà le vrai bilan du macronisme. C’est d’autant plus intolérable que notre Assemblée avait voté l’augmentation des crédits de l’APD avant que tout ne soit rayé d’un coup de 49-3.
Alors avant de nous apitoyer sur l’abandon états-unien, nous ferions donc mieux de changer nous-même de cap. Nous voyons bien la croisade aux relents xénophobes de l’extrême droite contre la solidarité internationale, qui ne cesse de dénoncer un prétendu « scandale de l’APD », en tournant en dérision certains projets et en stigmatisant les bénéficiaires, dans la pure rhétorique trumpiste. C’est au pire très cynique, au mieux un manque criant de clairvoyance sur les enjeux internationaux.
Car l’addition des coupes, ici comme à Washington, se paie demain en crises humanitaires, en migrations contraintes par le changement climatique et en instabilité – y compris, je le dis pour ceux qui sont incapables de voir plus loin que le bout de leur nez, y compris pour nous. Nous demandons de rétablir l’effort et de cesser de traiter la solidarité comme variable d’ajustement.
Au-delà du budget national, nous croyons que la France doit également porter une ambition nouvelle au niveau international : celle d’un nouveau mécanisme mondial pérenne sous l’égide de l’ONU, tel que je le propose dans mon rapport sur les relations entre l’Union européenne et la Chine. Une agence qui mutualiserait et sanctuariserait les financements, et planifierait leur utilisation.
Trois principes :
- La prévisibilité des ressources, avec des contributions assises sur des bases stables comme les transactions financières
- La souveraineté des bénéficiaires en partant des besoins, pour sortir de l’aide prescriptive actuelle
- Une articulation autour de biens publics mondiaux (santé, éducation, sécurité alimentaire, eau, adaptation climatique, égalité femmes-hommes)…
Face au retrait américain et au repli macroniste et lepéniste, nous appelons à rétablir et refonder l’aide au développement, d’abord au niveau national, et ensuite au niveau international par un outil multilatéral robuste, à la hauteur des enjeux.