Les députées Sophia Chikirou (LFI-NUPES) et Mireille Clapot (Apparentée Renaissance) ont convaincu l’ensemble des membres de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale d’adopter leur rapport sur le projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises ainsi qu’un avis comportant plusieurs recommandations.
La présentation du rapport en commission des affaires européennes :
Ce travail permet ainsi à la représentation nationale de défendre une position commune auprès du gouvernement français : les députés français appellent les négociateurs européens, dont la France, à faire preuve d’ambition pour adopter une règlementation ambitieuse et promouvoir un devoir de vigilance effectif.
Les discussions en trilogue ont débuté au milieu du mois de juillet 2023 entre les représentants de la Commission européenne, du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen. L’objectif est d’aboutir à une directive relative au devoir de vigilance des entreprises (« directive CSDD ») fin 2023 ou début 2024.
Des négociations européennes à surveiller
Début mai, Sophia Chikirou entamait ses travaux avec l’objectif de publier avant l’été un rapport permettant de porter la voix de l’Assemblée nationale auprès des autorités françaises et européennes sur le devoir de vigilance. La directive européenne qui est en cours de discussion sur le sujet peut avoir une réelle portée pour réduire les atteintes aux droits humains et à l’environnement en Europe mais aussi à travers le monde, pour peu qu’on lui en donne les moyens.
La France ayant été le premier pays à se doter d’une législation en la matière en 2017, il était de la responsabilité de ses parlementaires de se montrer courageux, loin du double jeu du gouvernement qui feint de l’être à Paris et se montre frileux au cœur des arcanes bruxellois.
C’est au pas de charge qu’ont été menées les auditons, entre Paris et le Parlement européen (universitaires spécialisés, responsables politiques, ONG, fédérations professionnelles…), pour élaborer un rapport complet présenté le 28 juin dernier devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée. La volonté des législateurs français était de prendre leur part dans un processus européen, souvent jugé opaque. Sophia Chikirou et Mireille Clapot ont convaincu leurs collègues d’adopter à l’unanimité un avis politique transpartisan.
Cet avis politique donne la position officielle des députés français sur un certain nombre de recommandations – au nombre de 27 – qu’ils souhaitent voir apparaitre dans la version définitive de la directive européenne.
Un avis politique transpartisan et ambitieux
Cet avis invite clairement la nouvelle présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne à faire de l’adoption de la directive CSDD une priorité, et indique que la version défendue par le Parlement européen est la seule à même d’aboutir à un devoir de vigilance effectif à portée systémique, contrairement à celle défendue par le Conseil.
Dans cette perspective, la position défendue par les eurodéputés doit primer sur celle des États membres, car elle permet de définir plus précisément et largement les conditions d’engagement de la responsabilité des entreprises, au-delà des « fautes intentionnelles ou de négligence », et applique les obligations de vigilance à toutes les « entités impliquées » dans la chaine d’activités des entreprises concernées, au-delà de la seule chaine d’approvisionnement et des relations commerciales directes. Par effet d’entrainement, dans une économie mondialisée telle que nous la connaissons, la directive pourrait alors avoir un impact sur la quasi-totalité des entreprises mondiales.
La commission plaide aussi pour un aménagement du régime d’administration de la preuve permettant aux plaignants de faire valoir plus facilement leurs droits. Il consisterait à ce que des juridictions puissent ordonner que des preuves soient divulguées par les entreprises. C’est une condition sine que none à l’effectivité de la loi, sans quoi les victimes seraient écrasées par l’asymétrie d’information et la puissance des multinationales.
La commission rappelle aussi que le secteur financier, moteur du capitalisme dans sa forme actuelle, doit être pleinement inclus dans la directive européenne comme le défend le Parlement européen, et que cela ne peut en aucun cas relever d’une simple faculté laissée à la discrétion des États membres comme le souhaite le Conseil.
Le travail du député Dominique Potier (Socialiste – NUPES), artisan de la loi française sur le devoir de vigilance, a d’ailleurs permis d’améliorer la version finale de l’avis politique grâce aux nombreux amendements qu’il a déposés.
Sur tous ces sujets comme sur bien d’autres, l’aspect transpartisan du rapport réalisé par Sophia Chikirou avec la corapporteure macroniste Mireille Clapot, donne une force supplémentaire à cet avis politique. Cependant, il y a également de quoi nourrir des regrets sur certains enjeux où il aurait fallu aller plus loin.
Les insoumis continueront de mener bataille pour les droits humains
C’est pourquoi Sophia Chikirou n’a pas manqué de formuler, en plus des recommandations communes avec Mireille Clapot et de l’avis politique de la commission des affaires européennes, des recommandations spécifiques au nom du groupe de La France Insoumise.
En particulier, une inversion de la charge de la preuve devrait être instaurée pour mettre réellement fin aux injustices observées entre victimes et grandes entreprises. Les entreprises devraient ainsi prouver qu’elles ont mis en œuvre les moyens nécessaires pour éviter les risques et préjudices causés. L’eurodéputée insoumise Manon Aubry, auditionnée dans le cadre de ce rapport, a insisté sur la nécessité de réduire les obstacles procéduraux en prenant l’exemple frappant d’un paysan en Ouganda qui a peu de chances de voir son action en justice prospérer contre les juristes d’une multinationale pétrolière, en l’occurrence TotalEnergies. Concernant ce projet Tilenga/EACOP de Total en Ouganda, Maxwell Atuhura, activiste local engagé contre ce projet mortifère et qu’a rencontré Sophia Chikirou, avait d’ailleurs des mots très forts pour qualifier son entreprise de collecte de preuve : « c’est terrible, vous êtes entre la vie et la mort ».
Pour mettre au pas la finance, son inclusion dans les obligations de vigilance est incontournable, et elle devrait en toute logique s’étendre aux clients, puisque les risques du secteur financier sont concentrés essentiellement « en aval » de leurs activités propres. Il est également honteux que ni la position du Conseil ni celle du Parlement européen ne couvre les fonds de pension. Cet énorme trou dans la raquette est autant dû à la défense des intérêts de certains pays tels que les Pays-Bas, qui protègent leur système financier, qu’à l’incompétence du gouvernement français qui n’a pas su obtenir une position équitable.
Enfin, aucune effectivité du droit du commerce n’est possible sans sanction pécuniaire. C’est pourquoi il faut privilégier la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante spécialisée, aux pouvoirs d’investigation et de sanctions élargis, qui puisse frapper fort au portefeuille des entreprises hors-la-loi. Le montant des sanctions prononcées sur le fondement du devoir de vigilance doit a minima être similaire aux montants des sanctions prononcées sur le fondement du droit de la concurrence (jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial). Mais on connait l’attachement de cette Europe à son marché plus qu’à ses citoyens…
Avec l’espoir de voir les recommandations françaises et insoumises entendues et appliquées dans la version finale de la directive européenne qui doit pouvoir faire l’objet d’un accord avant les élections européennes de 2024, les insoumis continueront de faire vivre avec force ce rapport autour de Sophia Chikirou pour mettre fin à l’irresponsabilité des multinationales à travers le monde. Et pour une économie qui respecte l’harmonie des hommes entre eux et avec la nature.