Le 2 mai, Sophia Chikirou présentait en hémicycle la discussion générale de la France Insoumise lors du débat « Le localisme, une politique économique au service de la réindustrialisation et de l’environnement » porté par le Rassemblement National.
A cette occasion, elle a rappelé l’enjeu de combattre le système capitaliste qui exploite nos corps et notre planète en portant une économie alternative : sociale, solidaire, circulaire et respectueuse de la règle verte.
Retrouvez son intervention :
Président
Mesdames, Messieurs,
L’économie capitaliste formatée par l’idéologie libérale et soumise à l’action combinée des forces de l’argent et des gouvernements infiltrés par les lobbys, mène le monde à cette absurdité où l’on voit une minorité faire sécession avec le reste de l’humanité. Une minorité d’ultra-riches accapare les richesses et exige de produire toujours plus au prix de l’exploitation des hommes, des femmes et des enfants, et de la destruction des écosystèmes.
Ce constat est fait partout, dans tous les pays, et poussent les peuples à la révolte : des luttes pour l’accès à l’eau au Mexique, en Californie, en Espagne et en France comme à Sainte-Soline ; des luttes pour les terres comme en Ouganda, en Tanzanie, où Total Energie va commettre l’un des plus grands écocides de l’Humanité ; des luttes aussi pour les droits sociaux comme au Bangladesh dans les usines de textile, en Tunisie où les travailleurs des transports se sont mis en grève au début de l’année, et en France où pas un jour ne passe sans une grève, une protestation pour réclamer son dû, une part de salaire juste, et le droit au travail qui n’aliène pas.
Ces luttes écologiques et sociales se confondent toutes ! Partout ! Sur tous les continents.
Les travailleurs, les citoyens, l’humanité entière sans distinction de croyances, de couleurs de peau, de genres, d’orientation sexuelle, sont livrés aux mêmes malheurs que provoquent l’économie dominante.
Les seuls freins à la voracité des firmes multinationales, et des régimes politiques corrompus qui les accompagnent, les seuls freins sont les résistances des travailleurs, des militants syndicaux, des militants écologistes et des militants pour les droits de l’homme.
La pandémie de Covid a représenté la crise la plus globale de ce système transfrontalier.
Elle a obligé les fanatiques du libéralisme à changer de discours.
Emmanuel Macron a parfaitement incarné cette turpitude : chantre du libéralisme et de la dérégulation, fossoyeur des droits sociaux, flutiste du greenwashing, il était bien content alors de trouver nos caisses sociales, celles bâties et financées par les travailleurs, pour eux et leur famille.
Je reviens sur cet événement car il sera dans l’histoire des Hommes, celui qui aura plus que tout autre unifier l’humanité entière la rappelant à sa condition d’être vivant parmi d’autres êtres vivants, et d’être dépendant de la planète et des écosystèmes.
Cet événement global a surtout montré que la mondialisation de notre siècle est une organisation de la production totalement dépendante de réseaux d’approvisionnement mutuels. Quand la pandémie a brisé les chaines d’approvisionnement en de nombreux points, quand elle a stoppé la production en de nombreux points, ce sont les plus forts qui en ont tiré profit sur le dos des autres. Rares alors ont été les solidarités entre puissances : je vous rappelle cet épisode lamentable, pathétique des masques commandés par la France et détourné par les États-Unis sur un tarmac chinois !
Il a donc fallu cette pandémie de Covid pour que certains ici comprennent les dangers du système économique qui domine le monde.
Notre pays est malheureusement l’un des plus exposés à ces dangers car l’un des plus dépendants de ces réseaux de production et d’approvisionnement dont nous n’avons pas le contrôle.
En effet, parmi les grands pays industrialisés, la France a connu la désindustrialisation la plus marquée au cours de ces quarante dernières années. Dans notre pays, la part de l’industrie dans le PIB a diminué́ de dix points depuis 1980, pour atteindre 13,5 % en 2019, contre 24,2 % en Allemagne, 19,6 % en Italie et 15,8 % en Espagne.
Les grandes entreprises françaises ont adopté des stratégies privilégiant l’investissement à l’étranger à l’exportation et cela se traduit par la division par 2 de leur balance commerciale dans la part du PIB passant de 4% à 2%.
Ainsi, selon une note du Cepii : « les délocalisations opérées par les multinationales ont contribué à creuser le déficit commercial de la France au cours des deux dernières décennies ».
Au vu de ces éléments, il nous apparaît crucial de questionner et de réévaluer la part du global que nous voulons dans notre économie et la part du local.
Il s’agit de refuser la globalisation qui n’a d’autres raisons que la réduction des coûts, qui récompense le moins-disant social, le moins-disant écologique ; nous devons refuser la globalisation dès lors que le bilan entre les bienfaits pour tous et le profit pour quelques-uns penche en faveur du second.
Pour autant, nous rejetons avec autant de force la pensée rabougrie qui prône la fermeture de l’économie sur elle-même et qui renonce de façon absurde à la coopération et à la complémentarité des économies.
Voilà pourquoi nous défendons une autre économie : l’économie doit être sociale. Cela signifie tout simplement qu’elle doit avoir pour première finalité son utilité sociale : permettre la création de systèmes d’intégration et d’émancipation publics. Il faut donc que la finalité de l’économie ne soit pas le profit mais l’utilité. D’où la nécessité d’œuvrer à la définanciarisation de l’économie et de mettre hors de portée du marché les biens communs que sont l’eau, la santé, l’éducation, la culture, l’information.
L’économie doit être solidaire : cela veut dire qu’elle doit être coopérative et non une compétition à tous les niveaux. Elle doit permettre des relations et des échanges dans l’intérêt commun et dans la responsabilité commune. L’alternative au libéralisme réside précisément dans le développement de coopérations entre nations et entre régions. D’où la nécessité de réviser voire d’abroger les traités de libre-échange aux conséquences dévastatrices pour l’environnement, pour l’emploi et pour la santé. Le Mercosur incarne exactement, et les agriculteurs français le savent bien, la mauvaise globalisation.
L’économie doit également être circulaire : cela veut dire qu’elle doit être organisée selon une logique durable donc selon une logique non consumériste, non productiviste ! Elle vise à produire et à consommer de façon raisonnée. L’économie circulaire est le contraire du localisme : elle oblige à élargir le champ de la responsabilité, à intervenir sur le monde. Elle n’est pas une économie de l’enfermement, du circuit fermé, barricadé derrière des frontières. Quelle ineptie de penser ainsi ! L’économie circulaire invite à influencer les producteurs où qu’ils se trouvent, à penser les chaines d’approvisionnement, depuis l’extraction jusqu’au recyclage et au réemploi.
Cette économie sociale, solidaire et circulaire n’est pas une utopie. Elle est déjà une réalité dans divers domaines. Elle répond aux aspirations du plus grand nombre, ici, et dans le monde.
Je déplore que le projet de loi Industrie verte ne s’inscrive pas dans cette économie alternative. Le gouvernement persiste à imaginer la réindustralisation de la France avec un modus operandi défectueux : dans le rapport sur les politiques d’exportation et d’attractivité que j’ai réalisé avec mon collègue Charles Rodwell, j’ai tenu à pointer l’inefficacité des politiques dites industrielles qui consistent à offrir des allègements fiscaux et des aides aux entreprises sans contrepartie sociale et écologique. Il n’y aura pas d’avenir pour la réindustrialisation sans un contrat social et écologique contraignant pour les investisseurs, sans un devoir de vigilance pour les multinationales et pour les banques, sans une politique publique de formation professionnelle de haut niveau.
Depuis plus de 10 ans, nous avons, nous Insoumis, porté dans le débat public un principe que nous espérons voir inscrit dans la constitution, celle de la 6e République, ce principe est celui de la règle verte : Parce que le droit de propriété ne peut pas prévaloir sur la protection de l’eau, de l’air, de l’alimentation, du vivant, de la santé et de l’énergie, il faut une règle verte.
Cette règle est un préalable à toute politique économique et à la création d’industries : c’est une bifurcation écologique et sociale de notre modèle économique.
Cette bifurcation écologique et sociale passe par la planification, qui rétablit la gestion du temps long plutôt que la dictature du temps court, le qualitatif plutôt que le quantitatif et les refus de la concurrence et de l’accumulation. Moins d’incitations permanentes à la consommation superflue et ostentatoire, plus de soins et plus de liens.
L’industrie verte ne vaudra pas mieux que l’industrie carbone tant qu’elle consistera en une politique de l’offre dont la finalité est la réduction des coûts de production pour écouler des biens.
Le localisme que prône l’extrême-droite n’est rien d’autre qu’une version survivaliste, raciste et passéiste du capitalisme. Le localisme ne mérite pas son suffixe : il n’est ni une théorie économique, ni un concept politique ou scientifique, c’est un pharisaïsme !
Aussi, vive la 6e République, la règle verte, pour que vive l’économie sociale, solidaire et circulaire !