Le Parlement européen (PE) a voté le 1er juin dernier une proposition de directive (dite « CSDD ») pour étendre le devoir de vigilance des grandes entreprises. S’ouvre désormais une phase de « trilogue » : pendant des mois, ce texte ambitieux va faire l’objet de négociations entre les représentants du PE, le Conseil de l’Europe (les États-membres) et la Commission européenne. 

Sophia Chikirou, membre de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale, a souhaité travailler à l’élaboration d’un rapport qu’elle présentera fin juin à ses collègues. Ce rapport doit permettre à l’Assemblée nationale de se positionner et d’adopter un avis qui sera transmis aux autorités françaises et européennes. 

Cette directive pourrait avoir des effets systémiques positifs, si et seulement si, elle n’est pas rabotée sous la pression des lobbys financiers et industriels, et par les États-membres dont la France qui cherche à soustraire les banques et investisseurs d’un tel devoir. 

Pour qu’elle soit définitivement adoptée, cette directive doit faire l’objet d’un accord entre les 3 parties européennes – le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et le Parlement européen – à l’issue d’un trilogue. Son adoption est une exigence sociale et écologique. 

Le devoir de vigilance, qu’est-ce que c’est ?

Le devoir de vigilance peut s’entendre comme l’obligation pour les entreprises de prévenir les atteintes graves aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes, ainsi qu’à l’environnement, au-delà de leurs activités propres.

Une multinationale ne peut pas se défausser librement sur ses sous-traitants et doit mettre en place des mesures pour éviter, et le cas échéant réparer, les graves préjudices pouvant être causés par ses partenaires commerciaux.

Et, malheureusement, c’est souvent dans la tragédie que les consciences s’éveillent.

Le fait fondateur du devoir de vigilance, c’est l’effroyable effondrement du Rana Plaza survenu le 24 avril 2013 dans la banlieue de Dacca, au Bangladesh. Ce bâtiment abritait des usines textiles de sous-traitants et de fournisseurs de grandes marques européennes, comme par exemple Mango ou Primark.

La tragédie a fait plus de 1 100 morts et mis la lumière sur les conditions de travail déplorables dans lesquelles sont exploités les ouvriers ainsi que sur l’état d’insalubrité et de délabrement du bâtiment, les normes de sécurité n’ayant évidemment pas été respectées.

Le monde ouvre alors les yeux sur les abominations du capitalisme en général, qui ne datent pas de 2013, et de la fast fashion en particulier.

Le rôle pionnier de la France doit être poursuivi malgré le double-jeu du gouvernement

La France, il faut le dire, a fait figure de pionnière. C’est en mars 2017, à l’initiative du député NUPES Dominique Potier mais aussi de plusieurs ONG comme Sherpa ou Amnesty International, que la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a été adoptée à l’Assemblée nationale. La France devient alors le premier pays du monde à inscrire le devoir de vigilance dans son droit national.

Cette loi prévoit que toute société française d’au moins 5000 salariés (filiales inclues), ou société étrangère établie en France d’au moins 10 000 salariés, est tenue de mettre en œuvre un plan de vigilance. Celui-ci doit établir une cartographie des risques liés aux relations commerciales entretenues avec ses fournisseurs et sous-traitants ainsi que des mesures effectives de prévention des atteintes graves.

Malheureusement, cette loi qui pose un cadre général assez ambitieux n’a abouti, dans les faits, à aucune condamnation. Pas plus tard que le 28 février dernier, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté les recours en référés de plusieurs ONG françaises et ougandaises contre TotalEnergies au sujet du projet pétrolier « Tilanga », visant à exploiter 419 puits dans six champs pétroliers et à construire une usine de traitement du pétrole. Le juge des référés a notamment indiqué que la loi était trop « imprécise, floue et souple » et qu’il n’entrait pas dans ses pouvoirs de porter un jugement sur « le caractère raisonnable » des mesures de vigilance prises par Total.

Le constat est donc simple : il faut aller plus loin.

L’Allemagne et les Pays-Bas sont les deux autres pays de l’Union européenne à s’être également dotés d’une législation nationale relative au devoir de vigilance, ouvrant ainsi la voie à une législation européenne.

Mais pour y parvenir, nous avons besoin d’une vraie volonté politique. Or, le gouvernement joue un double-jeu : il se montre ambitieux dans les annonces, mais reste très réfractaire dans les négociations opaques menées à Bruxelles. C’est pourquoi Sophia Chikirou espère que le rapport et la position de l’Assemblée nationale permettront que les enjeux systémiques de la directive « devoir de vigilance » ne soient pas dévoyés. 

Les enjeux des discussions au niveau européen

Le parlement européen s’est emparé de la question dès 2020, en adoptant une résolution « contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ». La commission a donc déposé en février 2022 une proposition de directive. Celle-ci a été examinée et amendée par le Parlement qui a adopté en séance plénière le 1er juin dernier une version plus ambitieuse que celle de la commission, et a fortiori celle des Etats membres. S’engageront dans les prochains jours les « trilogues », cette phase de négociations tripartites entre la commission européenne, le conseil des ministres de l’Union européenne et le Parlement européen, qui défendent chacun des versions différentes, dans l’optique de tomber sur une version commune.

L’urgence d’un texte européen avant le renouvellement du Parlement européen

Ce que l’expérience nous a montré, c’est que la démocratie européenne ne brille pas par son efficacité. Or, les prochaines élections des eurodéputés auront lieu en juin 2024. Il est donc extrêmement urgent d’agir pour éviter que les négociations institutionnelles ne s’enlisent et n’aboutissent à un report du texte à la prochaine législature. Le conseil de l’Union européenne est présidé par l’Espagne de juillet à décembre 2023, puis passera sous présidence belge au premier semestre 2024. Ce sont deux formidables occasions d’avancer sur le sujet avant de passer la main à la présidence hongroise… pour le moins incertaine.

Une directive pour un devoir de vigilance étendu à l’échelle internationale

Cela étant dit, il n’est pas question de se précipiter et vider le texte de sa substance pour en garantir l’adoption. Celui-ci doit absolument constituer une avancée par rapport au texte français qui est un socle solide sur lequel s’appuyer, mais qui a montré ses limites dans la pratique.

Sophia Chikirou appelle donc de ses vœux un périmètre élargi par rapport aux seuils d’application français. Sur le papier, cela devrait être chose faite puisque le texte de la directive prévoit à ce jour que toutes les entreprises de l’UE employant plus de 250 salariés et réalisant un chiffre d’affaires annuel de 40M d’euros (500 salariés et 150 M€ pour les sociétés mères) soient concernées.

Mais il y a un risque : les critères européens se basent sur un calcul des seuils par entreprise, sans tenir compte des filiales, alors que le mode de calcul français favorise une approche consolidée incluant l’ensemble du groupe concerné. On pourrait craindre avec l’approche individuelle que les multinationales créent des filiales pour diminuer artificiellement leurs effectifs afin de se soustraire à leurs obligations. Inadmissible, elles doivent assumer la responsabilité que leur puissance leur impute.

De même, dans un capitalisme financiarisé tel que nous le connaissons au XXIème siècle, il est crucial que les activités financières soient soumises au devoir de vigilance. Dans cette bataille, on peut compter sur le Parlement européen qui s’est prononcé pour une intégration plus large des services financiers. Mais on déplore l’exonération faite aux fonds de pension (de type Black Rock) alors même qu’ils sont le premier investisseur au monde ! 

Le gouvernement français défend quant à lui les intérêts des grandes banques comme la BNP qui ne veulent pas s’embarrasser de la moindre contrainte, au motif de sacro-sainte compétitivité. La France doit se montrer à la hauteur de son rôle pionnier et ne pas être à la solde des banquiers.

Même double discours gouvernemental sur le champ d’application de la directive. Là où le gouvernement français défend au conseil de l’UE la notion de « chaine d’approvisionnement », qui réduit les obligations des multinationales à quelques sous-traitants, il faudrait tout au contraire retenir toute la chaine de valeur, incluant l’amont et l’aval, pour qu’il n’y ait aucun trou dans la raquette, sans quoi le texte serait vidé de sa substance.

Une loi effective et juste

Enfin, il faut que la CSDD se donne les moyens de ses ambitions. La loi française pèche d’abord et avant tout car nous n’avons pas les magistrats compétents dans le domaine. Nous devons donc nous doter d’un réseau européen d’autorités nationales, comme cela est prévu dans la directive. Elles doivent jouir d’un vrai pouvoir de contrôle et de moyens de sanctions adaptées. A l’instar de l’autorité des marchés financiers en France, elle doit pouvoir frapper fort.

Dans cette optique, la directive votée par le Parlement européen apporte plus de sécurité et précision juridique en faisant référence à des textes internationaux qui permettront de qualifier plus facilement tout manquement au devoir de vigilance. 

Le devoir de vigilance n’est donc pas une notion abstraite. Il revêt de véritables enjeux sociaux et environnementaux à l’échelle planétaire. Cette directive constitue donc une opportunité de faire évoluer les pratiques des multinationales et de leurs sous-traitants qui épuisent les hommes et la nature. Comme les députés insoumis et de la gauche européenne, Sophia Chikirou compte bien la saisir, par le biais de ce rapport, pour infléchir les négociations qui auront lieu lors des trilogues. Ne laissons pas ce sujet central dans les mains tremblantes du gouvernement macroniste et ses alliés européens.

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